J'arrive au centre de méditation le 2 janvier vers 14h. Je m'enregistre et m'installe dans ma chambre, une petite pièce avec deux lits et une salle de bain. Je remets tout mon matériel de lecture, écriture et divertissement général à la réception et me prépare mentalement à entamer mes 10 jours de silence et de vie de moine. Ma co-chambreuse est une Russe à qui je n'adresserai quelques mots que 10 jours plus tard. Nous partagerons une chambre et une routine sans jamais nous parler ou même nous regarder.
Le site est simple et joli et est divisé en deux: une partie pour les femmes et une autre pour les hommes. Au total, environ 30 femmes et 70 hommes suivent le cours, dont approximativement la moitié sont Indiens alors que les autres sont Occidentaux. Notre espace est composé d'un bâtiment avec les chambres, une cafétéria, plusieurs halls de méditation et une allée d'environ 100 mètre bordée d'arbres. Ce sera notre espace pour nous promener pendant nos quelques périodes de repos.
Notre horaire pour les 10 prochains jours est le suivant:
4h: Réveil au son d'une cloche
4h30-6h30: méditation
6h30-8h: déjeuner et repos
8h-11h: méditation (avec pause de 5 minutes à 9h)
11h-13h: diner et repos
13h-17h: méditation (avec pauses à 14h15 et 15h30)
17h-18h: collation, thé et repos
18h-19h: méditation
19h-20h30: discours sur cassette de S.N. Goenka, le professeur
20h30-21h: méditation
21h-21h30: période de questions
21h30: coucher
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S.N. Goenka, le charismatique professeur |
Armée de mes 3-4 heures d'expérience peu fructueuse de méditation autodidacte, je me lance tête première dans un marathon de 100 heures de méditation en dix jours. Les quatre premiers jours consistent en des exercices de concentration sur la respiration naturelle. Il ne faut pas modifier la respiration, simplement l'observer. Chaque jour, des éléments à observer s'ajoutent, jusqu'à ce qu'on soit capables de ressentir très précisément le subtil passage du souffle au-dessus des lèvres et à l'intérieur des narines. La concentration est difficile à garder, mais l'esprit devient progressivement très aiguisé et peut distinguer une multitude de sensations différentes. Certaines périodes de méditation sont un fiasco total et je surprends mon esprit qui s'éloigne et s'amuse dans l'étendue de mon imagination débridée. Mais je ressorts aussi de plusieurs sessions très sereine et impressionnée par ma diligence.
À la fin du quatrième jour, on apprend la technique Vipassana. Les premiers jours n'étaient qui préparatoires. On doit observer chaque sensation de notre corps en le disséquant mentalement partie par partie. Au fil des jours, les sensations deviennent plus subtiles et certaines parties se lient d'elles-mêmes par un flux d'énergie qu'on peut ressentir très précisément. Cette technique a été utilisée par Buddha pour atteindre l'illumination. En gros, on doit observer les sensations sans réagir. On ne doit pas générer d'envie envers les sensations agréables, ni de haine envers celles qui sont désagréables. En éliminant ainsi les réactions face à la haine et l'envie (the aversions and the cravings), l'esprit et le corps se libèrent de la misère. Bon... la théorie est plus complexe, mais c'est l'idée générale!
On passe donc les jours 5 à 10 à observer objectivement les sensations sur notre corps. Une contrainte supplémentaire s'ajoute pour ces journées: une heure par matin, après-midi et soir, il nous est interdit de bouger. Les premières expériences sont douloureuses et à un moment, je pleure et me demande comment je pourrai me rendre au bout. Mais étrangement, j'arrive rapidement à me détacher de mon corps et j'arrive à analyser les douleurs à mon dos et mes jambes de manière tout à fait objective.
Au 10e jour, à partir de 10h, le vœu de silence est brisé et on a le droit de parler. L'horaire est allégé et nous n'avons que 2 heures de médiation en après-midi et une heure en soirée. C'est incroyable de pourvoir parler avec ces gens avec qui on a tant partagé. On échange nos impressions, on discute de nos doutes et on finit par simplement parler de tout et de rien. Je me lie d'amitié avec Monisha, une Indienne née en Angleterre et Inga, une Lithuanienne qui vit aussi en Angleterre. La soirée se prolonge, les quelques périodes de méditation restantes sont très peu concentrées.
Le 13 janvier, 11e jour. On se réveille à 4h du matin, on médite de 4h30 à 6h30, puis le cours est réellement terminé. Je quitte avec Monisha et Inga pour deux jours de luxe complets, qui seront décrits dans le prochain blogue...
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Moi avec Inga et Monisha |
TOP 5 DES BEAUX MOMENTS:
1 - Le sentiment de paix et de légèreté incroyables à la fin d'une période de méditation qui a bien été.
2 - Chaque matin, dans le village voisin, de la grosse musique indienne joue à plein volume. J'adore marcher vers le hall de méditation à 4h25 du matin, avec cette violente contradiction entre la musique festive et la sérénité du hall.
3 - Chaque jour, à 17h30, au bout de l'allée bordée d'arbres, toutes les filles se réunissent sans se consulter pour observer le magnifique coucher du soleil. Un moment qui peu sembler quétaine, mais qui est réellement réconfortant. On se sent unies malgré la non-communication.
4 - La découverte de 5 chiots d'à peine quelques semaines. Un autre point de rassemblement pendant les pauses, on observe et on rit du comportement des chiots sans se parler.
5 - Jour 10, à 10h, le vœu de silence se termine. Le joyeux brouhaha qui emplit l'espace est jouissif. On peut enfin parler à ces gens qu'on côtoie depuis plusieurs jours.
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Le moment bonbon de la journee |
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Le gourmand qui ecrase le plus faible! |
TOP 5 DES PIRES MOMENTS:
1 - Le son de la cloche à 4h du matin...
2 - Le sentiment d'ennui et de longueur pendant les interminables périodes de méditation où je n'ai aucune concentration.
3 - Écouter les chants de Goenka qui terminent chaque session: ses sons graves semblent des lamentations et il imite souvent des bruits de gazou...
4 - Avoir l'impression que mon corps est un Picasso: à force de me concentrer les yeux fermés, je n'arrive plus à comprendre la structure de mon corps et rien de semble être à sa place.
5 - Un Québécois avec une maladie mentale pète solidement sa coche, il se met à hurler, courir partout et s'immobilise finalement devant un arbre, où il pisse et défèque dans ses culottes. Une ambulance l'emporte dans un hôpital psychiatrique et l'ambassade canadienne prend le relais.
TOP 5 DES CHOSES PAS RAPPORT QUI ONT TRAVERSÉ MON ESPRIT:
1 - Chanson d'un "drinking game" en boucle dans ma tête: "concentration, elimination, concentration now begins" (Lolo, Hugo et Nico reconnaîtront certainement l'air...).
2 - Toute une journée avec une toune d'Okoumé dans la tête.
3 - Vision d'une grande roue dont les gondoles sont en forme de hamburger.
4 - Image aérienne d'un champ de guimauves fondues avec trame sonore de "t'as le bonjour d'Albert, le gros Bébert".
5 - Impressions que chaque partie de mon corps est un animal. Par exemple, mes oreilles sont des autruches et mes lèvres sont des bébés ornithorynques.
DESCRIPTION DE CERTAINS DE MES CO-MÉDITATEURS:
MONISHA: ma voisine de droite en méditation. Femme formidable que j'ai appris à connaître après le cours. Elle écrit présentement un livre intitulé "Around India in 80 trains" (www.80trains.com), qui sera publié prochainement... à suivre!
INGA: ma voisine de devant en méditation. Une autre femme formidable que j'ai connue par après. La joie de vivre, la spontanéité et l'intelligence intellectuelle et émotionnelle la décrivent très bien.
YULIYA: ma voisine de diagonale. Un grand divertissement pendant tout le cours, je crois qu'elle n'a pas fait une seule session complète. Elle bougeait constamment, se levait et prenait de longues pauses. Quand je me sentais misérable et non concentrée, me comparer à elle m'aidait beaucoup!
ZUNI: une Américaine qui a renié son pays. Elle travaille toujours au noir pour ne pas payer de taxes à un gouvernement qui utilise son argent pour tuer des gens. Son plan de vie: trouver une tribu sur une île quelconque qui l'acceptera parmi eux et vivre complètement recluse de la société moderne.
3 GARS LITHUANIENS: de vraies légendes du côté des femmes. Ils ont sauvé un chiot mourant et l'ont donné à une famille indienne avec 500 roupies pour qu'ils s'en occupent et le nourrissent. On a aussi appris qu'ils s'évadaient du site tous les soirs pour souper dans un resto du village puisque la collation ne leur suffisait pas!!!
MON BILAN VIPASSANA:
J'ai dû méditer de façon sérieuse et concentrée pendant environ 60 heures, alors que les 40 heures restantes ont été soit du n'importe quoi, soit de la torture. Je me suis très souvent demandé comment j'allais survivre jusqu'au bout, sans jamais avoir réellement l'intention de quitter avant la fin. J'ai souvent dû me rappeler les raisons qui ont motivée ma décision de faire une telle retraite. Je voulais apprendre à mieux vivre le moment présent, à réduire le stress inutile, à calmer cette colère qui bouillonne trop souvent en moi sans raison légitime, à affronter mes peurs et mes phobies avec un esprit plus calme. La méditation était pour moi un chemin naturel pour non pas éradiquer, mais diminuer ces éléments négatifs de ma vie.
J'ai des doutes sur certaines parties de la technique et je ne crois pas être convertie au Vipassana. J'ai acheté un livre sur la technique et je le lis présentement en l'annotant pour essayer de faire un peu de ménage dans tout ça. Par contre, je considère que mon but d'apprendre à méditer a été atteint et plusieurs aspects pratiques et théoriques du Vipassana me plaisent. Je crois que l'ampleur de ce que cette expérience m'a apportée ne me sera connue que dans le futur. Pour le moment, je continue à méditer tous les jours, je me sens effectivement plus calme et je réfléchis énormément à ma définition du bonheur, que je m'amuse à confronter avec mes apprentissages des derniers jours.
Mes amis, ne vous inquiétez pas: je suis peut-être un peu plus spirituelle que je l'étais au départ, mais je ne crois pas que Vipassana m'aie drastiquement changée. Vous n'aurez aucun problème à me reconnaître à mon retour, dans un mois!